Kusturica Opposes Bombardment in the Name of Humanity - interview parue en anglais sur www.zmag.org le 8 juillet 2002 |
Zlatibor, Yougoslavie,17 mai 2002 (Kyodo) - Emir Kusturica, le réalisateur né à Sarajevo, a gagné deux Palmes d'Or de Palme à Cannes depuis ses débuts en tant que réalisateur en 1981. Pendant ses 20 ans de carrière il a réalisé seulement sept films, qui ont tous été acclamés. Quand on lui demande ce qu'il pense des événements en Afghanistan, Kusturica dit que les Etats-Unis "bombardent (le pays) au nom de l'humanité" pour réaliser "leurs propres intérêts stratégiques et économiques." Il parlait à Kyodo News dans une entrevue tenue dans un hôtel dans la zone montagneuse de Zlatibor en Yougoslavie, où le réalisateur et ses collègues travaillent à un nouveau film appelé "Gladno Srce" (Hungry Heart). L'endroit est proche de la Bosnie. "La communauté internationale n'est jamais correctement intervenue" en ex-Yougoslavie, dit-il. "La communauté internationale était censée faire rentrer la totalité de l'ex-Yougoslavie dans l'union européenne il y a dix ans, lui donner du crédit, de l'argent et l'aider pour continuer comme pays normal," dit Kusturica, portant un t-shirt avec le visage d'Ernesto "Che" Guevara.
Ce qui suit sont des extraits de l'entrevue de Kyodo avec Kusturica.
Ses citations ont été éditées pour la lisibilité.
- Quel est le thème principal de votre nouveau film "Gladno Srce" (Hungry Heart)?
- Emir Kusturica. C'est une histoire d'amour. Le motif central, l'endroit central du film est un type de Serbie... dont le fils est parti à la guerre, a été capturé par les musulmans. Et il contacte une femme musulmane qu'il est censé échanger contre son fils, mais il tombe amoureux d'elle. Ainsi, l'idée est de créer un film au sujet de la guerre en Bosnie, mais pas du point point de vue idéologique, pas de cette nouvelle manière de penser, de laquelle aucune racine, aucunes vraies causes ne sont montrées aux spectateurs. Ce film ne se veut pas idéologique, ce film veut... créer le contexte à partir duquel la guerre est partie et comment la guerre est perçue au travers de l'histoire d'amour d'un homme de 45 ans.
- Les gens peuvent-ils comprendre votre film comme étant un message que l'amour gagne sur le nationalisme ?
- Certainement, bien que le thème de mon film ne soit pas le nationalisme, mais juste le contexte social et historique dont l'histoire d'amour est créée par une situation humaine absurde, pas la situation dans laquelle l'amour vient naturellement.
- Vous me disiez que les gens veulent créer le bon et le mauvais, le oui et le non. Maintenant les Etats-Unis créent également quelque chose comme cela -- vrai et faux, noir et blanc.
- Cela n'existe pas. C'est juste un genre comme au cinéma dans lequel on crée ce genre d'impression sur la vie... Je n'essaye pas de définir ce qui est bon et ce qui est mauvais. C'est plus une question d'idéologie, d'une idée politique, qu'une idée artistique.
- Le nom de la Yougoslavie disparaîtra des cartes. L'ex-Yougoslavie a déjà disparu. Cette Yougoslavie disparaîtra aussi. Quel genre d'émotions cela suscie en vous ?
- Cela me trouble beaucoup, parce que je suis né ici. J'ai cru que la Yougoslavie était censé rester et je pense comme beaucoup d'autres choses dans l'histoire de cette région que les grandes puissances créent des pays. Ce pays (l'ex-Yougoslavie) a été créé après la première guerre mondiale et après environ 200 ans où nos ancêtres essayaient d'être (unis) ensemble afin de préserver notre culture, notre histoire. Le problème avec cette disparition est que c'était, je pense, la plupart du temps créé de l'extérieur du pays, et ne cela rendait malheureusement pas les personnes de nos jours aussi heureuses que je l'étais. Je pense donc que c'est clair : cette fois-ci la Yougoslavie a été démantelée parce que la région entière est passée sous la façon capitaliste d'imposer une nouvelle histoire. Et cela a été fait beaucoup trop agressivement, contre ce qu'était réellement ce pays. Je ne peux pas dire que je suis très sentimental, parce que les gens se massacraient l'un l'autre. Mais, d'autre part, je dois dire que ce qui a été défini par la communauté internationale participe très fortement à ce crime. Puisque, autant c'était OK de créer la Yougoslavie, autant ce n'était pas bon qu'elle existe à cette échelle.
- Car c'est peut-être le nationalisme, la religion, qui a détruit la Yougoslavie?
- S'il y avait un nationalisme, et il y en avait, il a été alimenté depuis l'extérieur. Je pense que le monde occidental le créais, en tout cas, il rajoutait de l'huile sur le feu... J'ai toujours été très soupçonneux du fait que le nationalisme soit à l'origine de cette tragédie. Car si vous vouliez arrêter la guerre en Macédoine, ils l'ont fait en deux mois, ils auraient pu en faire autant en Yougoslavie. Mais ils n'ont pas voulu, parce qu'ils souhaitaient la casser en plusieurs morceaux, faire ces petites régions sans aucune puissance.
- Quelle est votre définition du nationalisme?
- À la fin de la première guerre mondiale le terme de nationalisme correspondait à ce qui s'appelle aujourd'hui le patriotisme.
- Y a-t-il une frontière entre le nationalisme et le patriotisme ?
- Mon problème est que je n'ai pas des sentiments nationaux très forts. Mais, je pense que le nationalisme, qui peut être très dangereux, en même temps est pris comme un instrument dans la destruction du monde oriental. Car qu'est-ce que vous pouvez bien devenir si vous n'avez aucun bien et si vous êtes pauvre ? Malheureusement vous êtes condamné à être au moins nationaliste... Je ne suis pas nationaliste, mais je ne suis pas globaliste, non plus, parce que je pense que le globalisme est une nouvelle forme d'impérialisme... Si vous regardez les statistiques, et si vous regardez de 1989 jusqu'à aujourd'hui, de la chute du mur de Berlin, qui était le changement de ce qui était appelé le vieil ordre du monde, pas beaucoup de gens vivent mieux. Ainsi, la nouvelle conception du monde qui est un tout dans lequel il n'y a aucune nation. Et alors ? Quelle est la croyance, quelle est l'idée, quelle est l'utopie du monde ? Croire que le marché est celui qui règle nos rapports ? Ce n'est pas suffisant.
- Vous nous avez dit que quelqu'un de l'extérieur avait mis de l'huile sur le feu pour causer l'effondrement de l'ex-Yougoslavie. Pourquoi ont-ils dû faire cela?
- Parceque selon la projection de sérieux économistes et d'historiens aujourd'hui... pour la période de transition d'un régime communiste à une économie de marché vous avez besoin de 20 ans. Ils n'ont jamais permis à quiconque de tenir aussi longtemps. Eux, les grandes compagnies, aussi bien que quelques pays occidentaux, veulent détruire l'infrastructure nationale le plus tôt possible, ainsi ils peuvent venir tout acheter pour pas cher.
- Vous avez fait des films au sujet des Roms et des bohémiens si souvent et vous avez été récemment nommé ambassadeur de bonne volonté de l'UNICEF.
- Comme espoir... et je pense que la plus grande capacité de l'humanité est d'espérer. Et quand vous espérez, vous avez quelques chances. C'est pourquoi j'ai voulu aider les enfants autant que je peux.
- De quelle manière allez-vous proposer votre aide, particulièrement pour les enfants roms ?
- Non, pas juste les roms, tous les enfants. Je pense à ce que je peux faire en tant que réalisateur de film. Je pourrais faire de mon mieux pour faire des films courts pour participer aux campagnes.
- Une question très importante. Qu'avez vous ressenti avec votre film "Underground" sur la destruction de la Yougoslavie. Qui vous attaquait, qui vous défendait à ce moment-là. Pourquoi avez-vous quitté la Yougoslavie et pourquoi êtes-vous revenus ?
- Le fait est que l'histoire entière de la Yougoslavie est à l'opposé de ce que nous avons lu et de ce que nous savons. Si vous regardez la fin, le nettoyage ethnique, la pire chose qui pourrait arriver à quelques territoires, si vous regardez comment les politiciens occidentaux traitaient l'issue, vous pouvez voir que quelques territoires qui sont éthniquement nettoyés sont tout d'abord commandités par l'ouest, parce que l'idée des politiciens occidentaux n'est pas humanitaire. C'est juste une histoire de couverture pour quelque chose qui est beaucoup plus profond. Comme j'ai dit ils ont besoin de régions, de petites régions dans lesquelles ils peuvent pénétrer beaucoup plus facilement que si c'était un pays sérieux. Ainsi, puisque je vois celà et que je sais celà, je dois me dire que je me tiens au centre de ce problème, parce que ce problème m'est bien connu : je l'observe partout dans le monde. Le monde oriental est économiquement énorme : il y a 1,5 milliards de personnes qui veulent venir à l'ouest pour partager leurs marchandises. Et eux (à l'ouest) ils ont placé la frontière à notre pays, comme cela se faisait toujours dans l'histoire... Je vous donne une statistique, examinez là. La Croatie est presque épurée éthniquement. Ils (les Croates) peuvent maintenant voyager partout dans Europe de l'ouest, aucun problème. La Slovénie, aussi. Le seul qui est toujours un mélange de diverses nations est la Serbie et c'est là où c'est le plus dificile pour les habitants. Ce que je veux dire c'est que le monde occidental est très simple : le bénéfice avant tout.
- Comment voyez-vous les opérations militaires sous le prétexte de l'interposition humanitaire, comme en Afghanistan ?
- L'opinion de tout être humain sera certainement contre. Puisqu'ils bombardent au nom de l'humanité, mais en fait ils on leurs propres intérêts stratégiques et économiques. Ils savent que ce cercle vicieux de guerre, capital, bénéfice est quelque chose qui marche depuis 200 ans. Nous savons que les plus grands accomplissements scientifiques ont été atteints dans le domaine des militaires. Ainsi, les militaires sont une partie de ces opérations... Les changements par rapport au passé est juste dans la manière, la forme... Ils trouvent toujours quelqu'un qui est très méchant pour le détruire. Ils l'appellent Le Mal. Mais ce n'est pas à cause de ce mal. Je suis infiniment contre n'importe quel type de bombardement, y compris le bombardement américain de n'importe qui.
- Même en Afghanistan ?
- Partout... Ils bombardent l'Afghanistan comme un revanche à l'attaque terroriste, mais ils le font de la même manière.
- La logique américaine est que s'ils n'intervenaient pas en Yougoslavie, (l'ancien Président Slobodan) Milošević pourrait avoir continué de massacrer les Albanais du Kosovo. Comment, dans ce cas, la communauté internationale aurait-elle pu intervenir, ou aider ?
- La communauté internationale n'est jamais correctement intervenue (en ex-Yougoslavie). La communauté internationale était censée faire rentrer la totalité de l'ex-Yougoslavie dans l'union européenne il y a dix ans, lui donner du crédit, de l'argent et l'aider pour continuer comme pays normal. Je ne parlerai pas des massacres, parce que je ne crois pas ce que la propagande indique. Je veux voir les preuves. Je n'ai toujours pas vu la preuve des massacres. C'était le déclenchement pour apporter la communauté internationale au niveau qu'il a eu besoin (pour l'intervention).
- Croyez-vous que des enfants peuvent être nationalistes ?
- Je ne crois pas que cela soit possible.
- Comment avez vous vécu la tragédie du 11 septembre ?
- J'ai tout d'abord été ému, parce que n'importe quelle tragédie humaine, peu importe qui l'a fait, produit dans mon coeur un genre de turbulence. Ainsi, j'étais vraiment désolé pour ces personnes.
- Quel est votre avis au sujet de l'unilateralisme des Etats-Unis ?
- C'est une manière médiévale de dessiner l'histoire, dans laquelle ils ne respectent pas la loi et ne veulent pas que le reste du monde respecte la loi. Cela n'est pas possible.
- Pourquoi l'UNICEF vous a choisi comme ambassadeur de bonne volonté ?
- Parceque je suis un mec marrant.
Note biographique : Emir Kusturica, né à Sarajevo en 1954, a commencé sa carrière comme réalisateur de films TV dans la capitale de la Bosnie-Herzégovine de l'ancienne Yougoslavie ensuite il a étudié la réalisattion à l'école FAMU à Prague. En 1981, son premier film "Te souviens-tu de Dolly Bell?" a gagné le Lion d'or à Venise. Ses autres films incluent "Le temps des gitans" qui a gagné le prix du meilleur réalisateur à Cannes, "Papa est en voyage d'affaires," Palme d'Or à Cannes en 1985, et "Underground" Palme d'Or en 1995.
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