Interview parue dans Kurir, quotidien serbe, en octobre 2003 |
Dans cette interview - qui est en fait plutot une courte conversation - Emir semble davantage se moquer du journaliste que lui révéler les secrets de son dernier film...
Emir Kusturica a terminé son nouveau film ! Le tournage a duré plus d'un an et l'une des particularités de ce film est qu'il a deux titres : "Hungry Heart" pour l'Europe et "Quand la vie était un miracle" pour la Serbie. Alors que nous attendons de le voir, Emir est en visite à Belgrade, pour l'ouverture du festival du film étudiant. Nous faisons une petite interview exclusive avec lui.
- Les journalistes cherchent des informations sur votre nouveau film. C'est quoi le problème ? Ce silence dure depuis plus d'un an !
- Emir Kusturica. J'aimerais bien parler... mais je peux pas. "Universal", le distributeur officiel du film me l'a interdit. C'est dans le contrat ! Et ça ne me plait pas, car je ne peux vraiment rien dire.
- Ce n'est pas habituel. Pourquoi avez vous accepté un tel contrat ?
- En fait, ils savent que c'est très difficile de m'arrêter quand je décide de parler, alors ils l'ont mis dans le contrat. Je peux parler beaucoup, et parfois pas très gentiment. Quelqu'un leur a dit de faire ça pendant le tournage. Mais quand je commencerai à parler... ce sera la fête !
- Mais vous avez juste terminé le tournage !
- Oui, il y a quelques jours ! J'ai travaillé plus d'un an, et j'ai explosé tous les accords sur la durée de tournage.
- Vous travaillez en Serbie avec des acteurs serbes. On peut en savoir plus ?
- Et bien non, je ne peux rien en dire, car j'aurais des problèmes avec le distributeur. Ainsi, je ne peux pas vous dire que nous avons tourné à Zlatibor, je ne peux pas vous dire que les acteurs sont Slavko Štimac,Nataša Šolak,Vesna Trivalić,Aleksandar Berček,Davor Janjic,Stribor Kusturica,Nikola Kojo,Vuk Kostic,Dana Todorović. Et il faut faire très attention, car ils pourraient me mettre en prison pour cela !
- Et l'histoire du film ?
- Je dois fermer ma bouche.
- OK, alors ne dites rien, et je parlerai. L'histoire se passe en Bosnie. Luka est un serbe et son fils un otage aux mains des soldats bosniaques. Les serbes lui donnent une jeune infimière bosniaque en échange, mais ils tombent amoureux.
- Génial ! Vous savez tout sur le film !
- Où en est le film à présent ? Et quand pourra-t-on le voir ?
- On travaille sur le montage du son, et de l'image. Il sera présenté à Cannes l'année prochaine.
- Vous êtes à Belgrade pour quelques jours. Comment vous sentez vous ici ?
- Super, comme d'habitude.La ville est belle, lumineuse, "glamour" même. La vente du pays est en marche.
- Que voulez vous dire ?
- Je parle de la situation politique. Mais je n'ai pas besoin de vous l'expliquer. Vous savez tout cela. Vous l'écrivez pratiquement tous les jours.
- Lisez vous "Kurir" ?
- Oui, je le lis sur internet. Ainsi, je suis au courant de ce qui se passe ici.
N.DEVIC
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Interview parue dans Ekstra magazin, magazine de la Republika Srpska en juillet 2003 |
Celui qu'on appelle "le génie mal coiffé" a toujours été la cible de personnes hypersensibles d'ex-Yougoslavie, qui pensent pouvoir juger les valeurs morales. On l'a accusé d'être un homme sans morale, sans honnêteté et d'avoir trahi son pays, mais personne n'oserait s'attaquer à son talent, sa gloire et sa fierté. Ces dernières années, il a toujours été de bon ton d'attaquer Emir Kusturica. Lui et ses films sont des événements politiques dans son ex-pays - et des événements de première classe - et il est considéré avec autant d'importance que les politiciens. Accusé d'être serbe nationaliste à l'époque de Milošević, de montrer les serbes comme des gitans, de trahir la Bosnie, "l'Emir de Serbie" comme ils l'appellent, le génie aux mots durs aux films forts et aux poings serrés est un réalisateur du même niveau que Almodovar ou von Trier. Alors que l'on discute dans un bar de Dorcol, dans la banlieue de Belgrade, nous avons l'impression que les gens ici ne l'aiment pas, et entre deux tasses de thé, sur ses gardes, il semble prêt à répondre : "Fais gaffe, je suis Kusturica."
Aleksandar Djuricic
- Belgrade ne vous a jamais reçu comme vous le souhaitiez. Qu'en pensez vous ?
- Emir Kusturica. Je suis arrivé ici, enfant, directement depuis la gare dans les rues balkaniques, j'y ai toujours eu de fortes émotions, parceque c'est d'ici que je suis parti de par le monde. De Belgrade, je suis allé à la faculté de Prague, grâce à ma tante. C'était pour moi l'endroit d'où je pouvais aller partout dans le monde, et où je revenais quand j'en avais marre d'être à l'étranger. Comme une correspondance dont je ne pouvais pas me passer. Comme New York pour les Balkans. Doucement détruite, pleine de constructions étranges, Belgrade a toujours été le centre de la vie politique et culturelle des Balkans. J'ai ma place ici. Cette place n'a peut être pas la même sorte d'intensité que dans le passé, mais je suis une personne partagée ; et une partie de moi se trouve en Argentine, en France, au Japon, et bien sûr à Belgrade. Cela dit, j'ai toujours eu ici un grand public.
- Que ressentez-vous d'avoir été rejeté par votre ville de naissance ? Ou bien est-ce que Sarajevo n'était qu'un point de départ pour atteindre d'autres sommets ?
- S'il n'y avait pas la guerre et cette tragédie, j'irai volontiers passer du temps à Sarajevo dans l'année, mais tout ce qui s'est passé dans cette ville, mes décisions, mon animosité en devient plus forte. Nous étions ennemis sur des plans idéologiques, puis ça s'est transformé en blessure, des deux côtés, et les dégâts sur ma propre famille sont évidents. Ma famille est le modèle d'une sorte d'idée internationale, parceque nous sommes un mélange différentes nations. Pendant la guerre, Sarajevo n'a rien fait pour éviter la mobilisation des musulmans, pas seulement pour les envoyer au combat, mais aussi pour les rassembler dans un pays à eux. Si seulement Izetbegovic avait le pouvoir d'être président de toutes les nations de Bosnie, on habiterait tous là et on défendrait ses idées. Si seulement il disait la vérité et qu'il arrêtait de collaborer avec Karadžić et les nationalistes croates. Il voulait faire une nation et la mettre en position de victime, ce qui était la vérité. On peut bien le blâmer, même s'il n'a pas demandé lui-même les bombardements, mais les leaders serbes extrêmistes se sont toujours bien entendus avec lui. Je n'arrête pas d'y penser, quand la police bosniaque a frappé à la porte de l'appartement de mes parents, qu'ils ont dérobé des choses de valeur, et que mon père, qui était Partisan pendant la seconde guerre mondiale, a été déclaré Tchetnik. Deux mois plus tard , il est décédé d'une attaque cardiaque à Herceg Novi. Ils ont brûlé deux maisons à Visoko, après les accords de Dayton, ce qui était un signe clair. "Purification ethnique" est une classification difficile.
Concernant Sarajevo, je n'ai aucune émotion ; cette histoire a dépassé toutes mes capacités de patience. J'y ai de très bons souvenirs et de bons amis, mais cette ville n'est pas libre. Ils vivent sous un protectorat. OK, regardons les faits d'un autre point de vue, et à la fin, on trace un trait et on regarde où on est. Le résultat est désastreux, ils n'ont jamais vécu aussi misérablement de toute leur vie, et je ne pense pas qu'ils condamnent Karadžić dans le futur, comme criminel de guerre.
J'aurais pu adopter une position plus facile dans cette interview, avec des mots gentils, mais ça je ne le ferai pas. Je ne suis pas de ce genre de personnes. Je passe pour un méchant. Je suis ravi de prendre soin de mes ennemis et de mettre cela en forme parceque, pouvez vous imaginer un pays sans ennemi réel, sans dissident ? Ce ne serait pas un pays.- Que vous apporte la vie d'émigrant ?
- Ca me correspond très bien. Dieu merci, parceque j'ai vécu à Sarajevo et à Belgrade, parceque je pensais ça déjà avant la guerre. Dans ce cadre provincial, mon travail ne produira que des troubles. Loin des yeux, loin du coeur. De temps en temps, je débarque avec mes films, et je suscite des réactions controversées. Certains aiment, d'autres pas. Mais je suis parti loin d'ici. Ainsi, ceux qui pensent du mal de moi, je leur conseille de faire des films, parceque les films sont la seule chose que je comprends. C'est très facile à faire ; un film sur les serbes, avec beaucoup d'effets, envoyez votre message au monde entier, et ils vous accepteront.
- Pourquoi ne parlez vous plus à Goran Bregović ?
- Goran Bregović est le genre de personne qui a un caractère moderne. Il est du genre à vous dérober votre porte-monnaie et ensuite vous inviter à dîner avec votre argent. Il peut témoigner d'une grande amitié, au travers laquelle nous sommes passés, puis il s'est protégé, mais avec charme. Grâce à mon amitié avec Iggy Pop, il a pu faire la chanson d'Arizona Dream, et après des années de procès, on apprend que la musique a été volée, et qu'il doit payer pour ça. Il s'est moqué d'Iggy et de moi, et le CD a été interdit. D'un autre côté, son talent est énorme, et je l'admets sans aucune discussion. J'ai parfois fait des erreurs regrettables en jugeant certaines personnes, mais il y a neanmoins toujours un minimum de valeurs morales à avoir, et mes amis ne peuvent pas avoir l'éthique d'une plante aquatique. C'est dur d'entendre de la cour de justice française que la musique a été volée. Il a dit que j'avais raconté des choses sur lui à cause de mon stress. Je me suis débarassé de cela avec mes films déjà il y a vingt ans, et c'est plutôt lui qui réagit de la sorte aujourd'hui, comme un débutant qui découvre le monde.
- Etes vous toujours en contact avec Milorad Vucelic ? [note : Milorad Vucelic était le directeur de la télévision serbe sous Milošević ; il fut l'un des co-producteur d'Underground. Il est accusé de complicité dans l'assassinat de Zoran Djindjic ; il est en prison depuis avril 2003]
- Non, je ne l'ai pas revu depuis longtemps, mais je ne pourrais rien dire de mal contre lui. Il a été correct avec moi, et je ne peux pas me plaindre. Je ne me sens pas ennemi de lui, même si je sais qu'il n'est pas très populaire de parler ainsi de lui, parcequ'il est lié à Milošević et sa télévision.
- A l'époque où vous filmiez Underground...
- Oui. Je me souviens ; le produceur allemand m'avait demandé, sachant que Vucelic était le directeur de la télévision serbe, dans quoi il s'engageait, par rapport au film, et par rapport au message que le film allait représenter. Je pensais qu'il le savait bien, parcequ'il est passé par différentes phases dans sa vie. A l'époque communiste, il travaillait dans les théâtres, et a fait de grandes productions. Les relations entre nous deux étaient très bonnes, et souvent ce que les gens mentionnent c'est le soutien financier. Dans Underground, l'argent venait de France, et était dépensé en Serbie ; 2 millions de dollars, je pense. La télévision serbe et M. Covic, le maire de Belgrade, ont rendu ce film possible et nous ont soutenu. On a dépensé beaucoup d'argent des banques mondiales.
- Vous vous battez toujours ?
- Non, c'est un mythe. Mais je l'ai fait...
- Vous avez déjà mis KO quelqu'un ?
- Je n'ai pas beaucoup de chance à ça. Je n'ai pratiquement pas de vie sociale. Je ne sors pas beaucoup, parceque ma sensibilité n'est pas recommandée pour les contacts intensifs. Quand Bergman se battra avec un critique, vous verrez qu'un monde où on aime ses films est possible. Dans mon cas, ce n'était pas pour mes films. C'était pour des remarques, des mensonges et des stupidités. Les gens disent des choses comme : Kusturica et Sidran font des films fondamentalistes et marxistes. Quand je rencontre ces gens, j'ai un dilemne, comment laisser passer ce genre de mensonges, mais comment leur faire comprendre qu'ils ont tort ? J'évite les conflits, et ces gens là ont de la chance parceque je ne sors pas beaucoup.
- Au final, vous n'avez pas votre revanche ?
- J'oublie ces choses... même quand elles dépassent les bornes. Je suis de nature paisible, mais j'ai besoin de réagir sur les gens, sur la vie. Je suis têtu.
- Que pensez vous de ce qu'on raconte sur Koštunica, qu'il serait nationaliste.
- Et bien, probablement avons nous des machines capables de découvrir ceux qui sont nationalistes et ceux qui ne le sont pas. On vous déclare tel si vous refusez de boire du Coca-Cola ou de manger des hamburgers. On dit qu'il est nationaliste parcequ'il parle comme De Gaulle, mais dans ses actes, on ne trouve aucune trace de nationalisme. Tout dépend ce que l'on appelle le nationalisme. On peut regarder ce qui se passe en Algérie, sans rien faire ; et simplement commenter. On catégorise. Mais être nationaliste aujourd'hui, c'est bien. A l'époque de Tito, le nationalisme serbe c'était des gens intelligents, avec qui on pouvait discuter. Ca me fait tellement rire, quand je lis ce qu'écrit une personne qui travaille à Helsinki pour le Commité des Droits de l'Homme, que Koštunica est national-socialiste... Il aime son pays, et émotionnellement, il a des sentiments nationaux, mais cela ne peut rien faire de mal. J'étais sans pays ; mon seul lien avec la Serbie c'était mon langage ; et on m'a accusé d'être nationaliste. Ainsi, si tu n'as pas de pays, si ne crois pas en Dieu, tu es nationaliste parceque tu dis que Reagan a envoyé des soldats américains au Nicaragua pour tuer au nom de la politique.
Koštunica et moi, on a un nom de famille qui se ressemble. J'en fais des blagues quand je suis avec lui. Je lui ai dit que j'avais reçu des félicitations quand il a été élu président. Des amis grecs m'ont appelé pour me souhaiter bonne chance pour la Présidence de Serbie. Ils disent que si Vaclav Havel a réussi, je dois pouvoir aussi être Président.- A propos du procès de Milošević à La Haye, pensez-vous que ce serait mieux qu'il soit jugé à Belgrade ?
- Il y a un million de problèmes. En tant que Président de la République, tout le monde peut vous faire un procès. Mais bon, tant que l'environnement social n'est pas aussi évolué qu'en Amérique où le Président prête serment sur la Bible et ment aussi facilement. Ce procès est basé sur de fausses bases. Si vous dites qu'il a trahi son serment sur la Bible, on vous répond que ce n'est pas grave. D'un autre côté quand le Président Américain trompe sa femme, on en fait toute une histoire. Dans cette situation, je me demande : comment est-il possible que la Constitution de Bosnie-Herzégovine ait été faite à Washington ? Aujourd'hui, tout est possible. Je connais des gens qui ont été de farouches opposents à Milošević durant la Guerre, qui sont aujourd'hui patriotes, et qui disent qu'il défendront leur Criminel de Guerre. S'il l'est réellement. Dans ce procès, on est dans une situation de pré-jugement. Il est condamné avant d'avoir été accusé. En Europe, les gens disent que c'est déjà fini. En fait, on juge tout et tout le monde, sa politique et lui personnellement. Je leur poserais bien des questions sur ce tribunal, qui a fait cette Cour Européenne, mais les Américains ne sont pas sous cette juridiction. En tout cas c'est idéal pour faire une grande nation. Au final, je pense qu'il sera jugé ici ; c'est ce qui se prépare. Vous verrez.
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Interview parue dans Politika, journal serbe en janvier 2003 |
"Le film La vie est un miracle ressemble à un mélange très probable entre du Shakespeare et les Marx Brothers", ainsi Emir Kusturica définit-il son nouveau film. En tant que producteur, il prépare la première projection de Jagoda in Supermarketu (des fraises au supermarché) au festival de Berlin. Il est également en train de terminer son nouveau film, et de préparer la promotion de sa monographie en serbe qu'a écrit Goran Gocić, de Belgrade. Sur le tournage, la discipline est très stricte. Les journalistes en sauront plus sur le film quand il sera prêt. Nous disons que nous sommes de Politika et entre deux scènes, Emir s'autorise à parler un peu...
MILAN VLAJICIC
- Le film La vie est un miracle (titre de travail Hungry Heart) est une histoire d'amour. Cela parle des réfugiés et de l'époque folle des conflits ethniques dans les Balkans. Pouvez vous décrire vos impressions et vos doutes quand vous avez commencé à travailler ?
- Emir Kusturica. Ce film prolonge simplement l'intérêt que je porte au destin des gens dans cette région, et je les recadre dans un contexte social et historique. Depuis 1992, chacun d'entre nous est passé par des moments difficiles et a sa propre histoire sur ce qui s'est passé. La mort de la Yougoslavie, la guerre, la chute du système social... Quand je lis l'histoire d'un Serbe, qui au début de la guerre en 1992 doit choisir entre son fils en prison dans le camp adverse et une femme musulmane qui était son otage, je réalise que ce cas a la dimension d'un dilemne shakespearien, mais qu'il s'agit également de la vraie vie. Comme d'habitude chez moi, je commence par travailler sur une petite histoire d'amour qui parle un peu de la guerre. Mais je m'aperçois qu'en terminant, c'est bien plus qu'une histoire d'amour. Ce film parle de comment la guerre a grandit et s'est nourrie en Bosnie, et de la démystification de la famille, ce que j'avais commencé avec mon premier film et qui est caractéristique de tous mes films suivants. Au final, le film perd ses illusions, et ressemble à un mélange très probable entre du Shakespeare et les Marx Brothers.
- Vous avez maintenant votre propre société de production, vous ne partagerez pas le succès avec d'autres producteurs. Est-ce que ça a été un choix difficile ?
- L'argent est quelque chose de tellement dangereux ! Depuis 1989, je fais des films financés par des producteurs étrangers. Malheureusement, j'ai du monter une maison de production "familiale" pour mettre de l'argent dans la cadre du film. Je n'ai jamais eu de chance avec mes producteurs, et je pense que c'est un métier difficile et compliqué. Ce film devient une vraie affaire de famille. Mon épouse Maja est responsable de la réflexion dans la production. On a réussi à étendre le budget pour qu'un euro devienne deux euros. On va pratiquement filmer pendant un an, et on a le budget d'un film européen moyen. Ce n'est pas surprenant parceque tout le film est lié à ma famille.
- Votre maison de production "Rasta film international" a produit le premier film du jeune réalisateur Dušan Milić "Jagoda in Supermarketu", film sélectionné dans la section "Panorama" du festival de Berlin. Est-ce votre nouvelle mission ? Voulez vous monter une école de cinéma en Yougoslavie ?
- Nous avons produit ce film, non pas parceque Maja ou moi avons besoin de faire des films, mais parceque nous pensons que nous pouvons aider de jeunes et talentueux auteurs en apportant notre énergie. Dans ce pays, l'idée dominante est que, selon moi, les professeurs cachent les secrets de la réalisation à leurs étudiants. J'ai voulu faire autrement. J'ai rencontré de gens de la chaine de télévision ARTE, ils ont lu le script et ont compris qu'il pourrait s'agir d'un très intéressant film à petit budget. Maintenant ce film va à Berlin et dans les cinémas de Yougoslavie. Je suis ravi parceque j'ai aidé un jeune homme à faire son premier film.
- Ces prochains jours sera présenté un ouvrage sur votre vie et votre oeuvre cinématographique. Ce livre est déjà disponible en anglais. Pensez vous que votre travail est plus apprécié en Europe ou en Yougoslavie ?
- Les modèles culturels dans notre pays sont des copies importées de l'Ouest. Il y a bien longtemps, on célébrait nos grands réalisateurs comme Zika Pavlovic et Sasa Petrović. Le temps des auteurs de films authentiques est derrière nous. Dans les salles de cinéma de Belgrade, il y a peu de films de grands réalisateurs. Ils cherchent à faire de l'audience et mettent Mike Leigh ou Almodovar à l'écart. C'est vraiment l'époque des voleurs et des bandits d'Hollywood qui ne cherchent qu'à faire du profit... Dans toutes les villes du monde on peut voir des films décents, mais pas ici ! C'est pour cela que je me considère comme faisant partie d'une conspiration mondiale d'auteurs contre le colonisation d'Hollywood. Honnêtement parlant, le rôle de voleur du caissier de "classe moyenne" du cinéma mondial est assez confortable. Plutôt que cela, j'essaie de ne pas me comporter comme un "géant de province" qui fait des films pour son public d'origine et dont les films ne font pas beaucoup de bruit au delà de Belgrade. C'est logique que ce livre ait été publié en anglais en premier car je suis présent dans les cinémas du monde depuis plus de 20 ans. Il y a un malentendu qui existe à propos de ma contribution au cinéma yougoslave et les privilèges que j'ai sont juste l'aboutissement d'un certain mode de réflexion. Je suis désolé si certains jeunes réalisateurs pensent que je bloque leur chemin vers Hollywood, parcequ'ils ne comprennent pas le fait qu'ils ne seront jamais acceptés par la "machinerie Hollywood", mais non : en aucune manière ne je leur barre la route !
- Votre vision de la culture et du cinéma aujourd'hui ?
- Je crois en notre peuple, et surtout dans les individus qui sont toujours capables de trouver des idées. Le cinéma dans ce pays est passé par plusieurs périodes, de la "vague noire" à l'"école de Prague", il y a donc beaucoup de choses à en tirer, et nous avons raison de vouloir défendre cet héritage. Les modèles importés des films américains font de nous une province des Etats-Unis. Mais nous sommes des outsiders, et en même temps, les modèles de cinéma dans les petits pays évoluent, progressent, et montrent que la route pour le cinéma du monde est ouverte. Lars von Trier n'est pas un réalisateur d'Hollywood, Almodovar non plus, mais beaucoup de gens aiment ses films, comme les frères Cohen. Il y a un modèle dominant d'imitation de ce qui est gros et puissant et qui peut ruiner notre industrie cinématographique ici. Heureusement, notre meilleure arme est le public, chose précieuse, mais c'est pareil partout en Europe. Si nous avons le courage de faire vibrer ce public autant d'un point de vue esthétique qu'humoristique, c'est formidable.!
- Quelle est votre opinion des festivals de cinéma ? Est-ce qu'ils aident les petits films à conquérir une scène internationale ?
- Les festivals de cinéma sont les seuls endroits où les petits pays peuvent promouvoir leurs films. Je ne peux pas imaginer d'autres opportunités pour que des français, des allemands, des japonais ou des anglais voient "Des fraises au supermarché" que dans des festivals.!
- Y a-t-il des stratégies en Europe pour la projection de films d'auteurs ? Des stratégies de défense par rapport à Hollywood ?
- La seule solution de stratégie culturelle pour se défendre de l'hégémonisme hollywoodien serait une loi, une régulation sur les droits d'auteur, ce qui existe déjà en France. Le seul avantage qu'ont les films serbes c'est qu'ils ne sont pas sous-titrés. Je pense que pour cette raison notre public reste fidèle au cinéma serbe.
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