Emir Kusturica est un réalisateur engagé.
Ses films sur les gitans réhabilitent un peuple brimé et méconnu aux yeux des occidentaux.
Il apporte un regard neuf sur le conflit serbo-croate
("Laissez faire : les serbes tuent les croates, les croates tuent les serbes. C'est comme ça.").
Cependant dans Underground, malgré les critiques de l'époque, Kusturica ne prend pas parti :
en effet, la période d'après guerre est un mélange de films d'époque originaux (avec incrustation
des acteurs dans les images vraies), de reconstitution de scènes historiques et de films retransmis
à la télévision aux gens du sous-sol. Trois niveaux de film dans le film
qui laissent le spectateur se faire son point du vue sur la question.
D'ailleurs Emir se plait à semer la confusion au fil des interviews, des articles, de ses déclarations. Il est aussi contradictoire que les personnages de ses films : jamais tout blanc, jamais tout noir non plus... Il serait absurde de vouloir cataloguer Emir Kusturica à la lecture d'une interview, car il pourra très bien déclarer l'inverse le lendemain... Il vaut mieux analyser ses films et lire entre les lignes des dialogues de ses personnages...
Pour revenir sur la polémique qui eut lieu après la Palme d'Or de Underground : L'échange entre Alain Finkelkraut et Emir Kusturica par colonnes interposées, dans le journal Le Monde.
C'est avec peine, avec tristesse et joie que nous nous souviendrons de notre pays,
lorsque nous raconterons à nos enfants des histoires qui commencent comme tous les contes de fées :
il était une fois un pays...
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La symbolique d'Underground |
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Voici quelques clés en vrac sur la multitude des symboles utilisés dans le film Underground...
- Le bombardement du zoo de Belgrade est un fait réel. En 1941 bon nombre d'animaux se sont effectivement échapés dans la ville ajoutant à la terreur la note surréaliste rendue dans le film. Emir tenait absolument à avoir un lion ("Un zoo sans lion, ce n'est pas un zoo !"), malgré les difficultés logistiques que cela impliquait. Au delà de la valeur symbolique évoquée par chaque animal (les oiseaux enfermés dans la volière, le cygne qui se rebelle contre le tigre, l'éléphant félinien, etc.), on peut voir ce gigantesque capharnaüm comme la libération des instincts sauvages lors de la Guerre. C'est la loi de la jungle, la loi du plus fort qui s'annonce. Pour survivre, il va falloir se battre...
- Les vues historiques qui sont ajoutées ont été soigneusement sélectionnées par Emir Kusturica dans les archives de la télévision yougoslave : on remarquera que les armées nazies sont acclamées à Ljubliana (capitale de la Slovénie) et à Zagreb (capitale de la Croatie), mais pas à Belgrade (capitale de la Serbie). En effet, les serbes ont accusé les croates et les slovènes de collaboration avec l'ennemi.
- Le symbole le plus fort - et c'est aussi le titre du film - est celui de la cave. Evidemment, cela renvoit à Platon et l'allégorie de la caverne où les gens enfermés n'ont qu'une vision déformée de la réalité extérieure, vision orchestrée par Marko. Mais plus que cela, la cave représente elle aussi l'ensemble de la Yougoslavie de Tito dans toute sa diversité : chaque peuple, chaque génération et chaque religion y est représenté ; mais également Blacky veut prouver à Marko que même isolés (le communisme titiste avait rompu avec celui de Staline), ils s'en sortent "par eux-même" et Blacky exhibe le char M-84 qu'ils ont construit. Ce char fut en effet la grande fierté de Tito : il avait mis un point d'honneur à ce que ce char soit le résultat d'assemblage de pièces fabriquées dans toutes les provinces du pays
- Finalement, Soni le singe est le seul personnage à traverser le film du début à la fin... Alors que généralement, le singe symbolise la bêtise, la stupidité, ici c'est lui qui ouvre la voie de la libération de la cave, lui qui montre à Yovan comment manger une banane (sans la peau), lui qui retrouve le chemin de la cave dans le labyrinthe, etc.
- La séquence où une portion de terre se détache à la fin du film est elle-même un résumé de l'ensemble des symboles du film tant elle est dense. Le troupeau de vaches sortant de l'eau représente les âmes des défunts du film qui reviennent dans un corps neuf (plus d'handicap) faire la fête et tout se pardonner. L'île formée a évidemment la forme de la Yougoslavie et son éloignement de la berge peut symboliser l'éloignement culturel (l'incompréhension ?) par rapport au reste de l'Europe, un nouveau départ ou plutôt le véritable espoir qu'un jour les yougoslaves s'uniront et feront la fête ensemble à nouveau... (c'est une vision optimiste qui se défend !)
- Enfin, et pour friser la polémique, on pourra dire que Marko symbolise Tito, et qu'il s'agit par là même d'une dénonciation du communisme qui a manipulé, criminalisé et servilisé la population yougoslave en la maintenant à l'écart du monde sous une chappe de plomb ; et que Blacky représente Slobodan Milosevic, quand le peuple prend conscience qu'il a été floué, il lui faut un leader qui n'accepte d'ordre de personne (voir le dialogue avec le casque bleu : "qui est votre chef ? - Je n'ai pas de chef. Mon chef, c'est mon pays, putain d'enculé de fasciste...")
Emir Kusturica : Pourquoi les gitans ? La seule raison est que j'ai été choqué par le fait que
l'on puisse vendre des enfants Emir Kusturica a été très impressionné par deux films :
"J'ai même rencontré des tsiganes heureux" de Petrovic, et "L'ange gardien" de Pascaljevic.
Ce dernier film étant même cité par Ahmed, quand il renvoie Pehran au pays.
Pour mieux comprendre la culture des gitans :
le site des Saintes Maries de la Mer
Extrait du Temps des Gitans :
Ils veulent détruire ma vie
Me décerveler avec leurs seringues
Mais je me suis enfui,
Je ne suis pas fou !
Me faire boire des potions !
Avaler des ampoules !
Des ampoules !
Attacher mon âme comme un ours savant !
Attacher mes ailes !
Un esprit sans ailes !
Mon âme est libre !
Libre comme un oiseau !
Mon âme plane ou redescend,
Mon âme pleure où elle rit et chante.
Quand Dieu est descendu sur terre
Il a vu les gitans
Et il a pris le vol de retour
J'y peux rien