Les évangiles des quenouilles

QuenouillesLes Evangiles des Quenouilles est un étonnant recueil de sagesse féminine sur des sujets aussi divers que les maladies et leurs remèdes, les conseils et les interdits de la vie quotidienne ainsi que les superstitions.

Il existe deux manuscrits de ce texte ; bien qu’il soit difficile de les dater et d’en situer l’origine précisément, les chercheurs s’accordent sur le fait qu’ils ont tous deux été composés dans le dernier tiers du XVème siècle, dans les états septentrionaux des ducs de Bourgogne, quelque part entre la Flandre et l’Artois, dans le pays de Weppes. Le manuscrit « C », le plus ancien, aurait été exécuté entre 1450 et 1470. Il se trouve aujourd’hui au musée Condé au château de Chantilly. Le manuscrit « BNF » – conservé, donc, à la BNF – lui est légèrement postérieur. On sait que le manuscrit BNF a servi de base à une édition imprimée à Bruges en 1480, dont il existe encore 6 incunables de par le monde. Après ces ouvrages, il y a encore eu de nombreuses autres éditions ; ce fut un véritable best-seller en son temps. Dans les siècles suivants, et bien que ce livre soit encore aujourd’hui assez peu étudié, on en trouve des éditions plus récentes, comme celle de 1855, jusqu’à la dernière, éditée par Albin Michel en 1987.

Le texte est composé de trois veillées, soit 132 évangiles en tout, glosées, c’est à dire que les dictons sont commentés par une des femmes de la veillées qui confirme le dicton et qui, en général, en donne un exemple. Le tout est évidemment truculent, truffé de grivoiseries, de jeux de mots et d'ironie. La structure de recueil en 6 parties s’appelle un hexaméron, c’est une forme très classique de cette période. L’autre forme habituelle, à cette époque, était le décaméron. On connaît bien sûr celui très célèbre de Boccace, écrit 100 ans plus tôt pendant la grande peste. On connaît moins les « cent nouvelles nouvelles », qui a lui été composé à la même période que nos quenouilles, et surtout, dans la même région, à la cour de Bourgogne.

Dans son introduction, l’auteur du texte justifie le nombre de femmes qui participent à ces veillées : "étant donné que pour tout témoignage de vérité, il faut trois femmes pour deux hommes, pour être à égalité avec le nombre des quatre évangélistes, il fut convenu que six femmes seraient choisies pour accomplir cette œuvre afin d’avoir plus grande preuve de vérité." On voit ici que dans la société médiévale, la voix d’une femme compte mathématiquement moins que celle d’un homme. Deux tiers. C’est précis.

Sur les sujets abordés dans cet étonnant ouvrage, on repère notamment :

  • 11 évangiles parlent de la tromperie des maris et 5 parlent des violences subies par les femmes. On a également 14 évangiles qui donnent des conseils d’hygiène : on voit bien là que ce sont des sujets sérieux.
  • De nombreux évangiles parlent des animaux. Il faut savoir que le soin des animaux domestiques est, au Moyen Âge un rôle tenu par la femme. Les animaux sont, de façon très basique, rangés en deux catégories, ceux qui sont bénéfiques et ceux qui sont maléfiques. Tout animal (domestique ou pas) présente des signes et des présages qu’il convient de décrypter, pour la météorologie, le destin collectif ou individuel.
  • Enfin, une très grande majorité des évangiles consiste en un recueil de « trucs et astuces », du genre « pour être sûr d’avoir ceci, alors il faut faire cela ».

Quelques exemples d'"évangiles" :

  • « si on frotte une verrue la veille de la saint Jean avec une feuille de sureau et qu’on enterre ensuite cette feuille profondément, la verrue séchera à mesure que la feuille pourrira. » Ce dicton est intéressant car il mélange trois aspects : le remède de grand-mère (les feuilles de sureau sont effectivement très riches en acide cyanhydrique et donc réellement efficaces sur les verrues), les superstitions liées aux saints, ainsi que le bon sens, tout simplement : la saint Jean tombe au début de l'été, là où les plantes sont les plus efficaces car gorgées de sève.
  • « Si une femme enceinte enjambe le timon d’une charrette, si elle porte un fils, il aura un membre gros et dur à merveille, et si c’est une fille, elle aura de grosses lèvres vermeilles aussi bien en haut qu’en bas. » ... parmi les nombreux dictons grivois.
  • « si la concubine d’un prêtre persévère en son péché jusqu’à sa mort, alors tenez pour vrai qu’elle est monture du diable et qu’il est inutile de prier pour elle. Glose : le péché peut s’éteindre par les prières du prêtre et celles des enfants qu’ils ont engendrés. » où l'on voit bien que c’est la femme qui commet le péché de chair ; le prêtre, lui, n’est pas mis en cause ; au contraire, il peut même pardonner…
  • « si l’on va se coucher sans ranger le siège sur lequel on s’est déchaussé, on est en danger d’être, cette nuit-là, chevauché par la Cauquemare. » où l'on rencontre la "Cauquemare", être malveillant, féminin, qui surgit la nuit et qui nous tourmente... (qui a donné le mot "cauchemar")

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