26 avril 2013

Les évangiles des quenouilles

QuenouillesLes Evangiles des Quenouilles est un étonnant recueil de sagesse féminine sur des sujets aussi divers que les maladies et leurs remèdes, les conseils et les interdits de la vie quotidienne ainsi que les superstitions.

Il existe deux manuscrits de ce texte ; bien qu’il soit difficile de les dater et d’en situer l’origine précisément, les chercheurs s’accordent sur le fait qu’ils ont tous deux été composés dans le dernier tiers du XVème siècle, dans les états septentrionaux des ducs de Bourgogne, quelque part entre la Flandre et l’Artois, dans le pays de Weppes. Le manuscrit « C », le plus ancien, aurait été exécuté entre 1450 et 1470. Il se trouve aujourd’hui au musée Condé au château de Chantilly. Le manuscrit « BNF » – conservé, donc, à la BNF – lui est légèrement postérieur. On sait que le manuscrit BNF a servi de base à une édition imprimée à Bruges en 1480, dont il existe encore 6 incunables de par le monde. Après ces ouvrages, il y a encore eu de nombreuses autres éditions ; ce fut un véritable best-seller en son temps. Dans les siècles suivants, et bien que ce livre soit encore aujourd’hui assez peu étudié, on en trouve des éditions plus récentes, comme celle de 1855, jusqu’à la dernière, éditée par Albin Michel en 1987.

Le texte est composé de trois veillées, soit 132 évangiles en tout, glosées, c’est à dire que les dictons sont commentés par une des femmes de la veillées qui confirme le dicton et qui, en général, en donne un exemple. Le tout est évidemment truculent, truffé de grivoiseries, de jeux de mots et d'ironie. La structure de recueil en 6 parties s’appelle un hexaméron, c’est une forme très classique de cette période. L’autre forme habituelle, à cette époque, était le décaméron. On connaît bien sûr celui très célèbre de Boccace, écrit 100 ans plus tôt pendant la grande peste. On connaît moins les « cent nouvelles nouvelles », qui a lui été composé à la même période que nos quenouilles, et surtout, dans la même région, à la cour de Bourgogne.

Dans son introduction, l’auteur du texte justifie le nombre de femmes qui participent à ces veillées : "étant donné que pour tout témoignage de vérité, il faut trois femmes pour deux hommes, pour être à égalité avec le nombre des quatre évangélistes, il fut convenu que six femmes seraient choisies pour accomplir cette œuvre afin d’avoir plus grande preuve de vérité." On voit ici que dans la société médiévale, la voix d’une femme compte mathématiquement moins que celle d’un homme. Deux tiers. C’est précis.

Sur les sujets abordés dans cet étonnant ouvrage, on repère notamment :

  • 11 évangiles parlent de la tromperie des maris et 5 parlent des violences subies par les femmes. On a également 14 évangiles qui donnent des conseils d’hygiène : on voit bien là que ce sont des sujets sérieux.
  • De nombreux évangiles parlent des animaux. Il faut savoir que le soin des animaux domestiques est, au Moyen Âge un rôle tenu par la femme. Les animaux sont, de façon très basique, rangés en deux catégories, ceux qui sont bénéfiques et ceux qui sont maléfiques. Tout animal (domestique ou pas) présente des signes et des présages qu’il convient de décrypter, pour la météorologie, le destin collectif ou individuel.
  • Enfin, une très grande majorité des évangiles consiste en un recueil de « trucs et astuces », du genre « pour être sûr d’avoir ceci, alors il faut faire cela ».

Quelques exemples d'"évangiles" :

  • « si on frotte une verrue la veille de la saint Jean avec une feuille de sureau et qu’on enterre ensuite cette feuille profondément, la verrue séchera à mesure que la feuille pourrira. » Ce dicton est intéressant car il mélange trois aspects : le remède de grand-mère (les feuilles de sureau sont effectivement très riches en acide cyanhydrique et donc réellement efficaces sur les verrues), les superstitions liées aux saints, ainsi que le bon sens, tout simplement : la saint Jean tombe au début de l'été, là où les plantes sont les plus efficaces car gorgées de sève.
  • « Si une femme enceinte enjambe le timon d’une charrette, si elle porte un fils, il aura un membre gros et dur à merveille, et si c’est une fille, elle aura de grosses lèvres vermeilles aussi bien en haut qu’en bas. » ... parmi les nombreux dictons grivois.
  • « si la concubine d’un prêtre persévère en son péché jusqu’à sa mort, alors tenez pour vrai qu’elle est monture du diable et qu’il est inutile de prier pour elle. Glose : le péché peut s’éteindre par les prières du prêtre et celles des enfants qu’ils ont engendrés. » où l'on voit bien que c’est la femme qui commet le péché de chair ; le prêtre, lui, n’est pas mis en cause ; au contraire, il peut même pardonner…
  • « si l’on va se coucher sans ranger le siège sur lequel on s’est déchaussé, on est en danger d’être, cette nuit-là, chevauché par la Cauquemare. » où l'on rencontre la "Cauquemare", être malveillant, féminin, qui surgit la nuit et qui nous tourmente... (qui a donné le mot "cauchemar")

19 avril 2013

Les béguines

béguinageDe nos jours, on peut encore admirer des béguinages complets en Belgique ou aux Pays-Bas. Ils datent généralement du XVIIème siècle.

Mais le mouvement béguinal est bien plus ancien et remonte au XIème siècle, aux confins des mouvements bogomiles et cathares, eux mêmes issus des franges dures des franciscains. Les suiveurs de Saint François d'Assise, en effet, opposaient une vision pauvre et humble face à l'opulence de l'Eglise et de la papauté. Alors que les Bogomiles concernaient les Balkans et le nord de l'Italie, et que les Cathares le sud de la France, les béghards ("mendiants") ont gagné la vallée du Rhin puis les Flandres. A divers degrés, tous ces mouvements furent condamnés, taxés d'hérésie par plusieurs bulles papales et sévèrement réprimés.

Mais au XIIème siècle, le mouvement béguinal s'organise, se féminise. Il s'étend vers le nord. Des communautés émergent, soudées autour de personnalités fortes. Ces femmes s'organisent, rejetant l'autorité des hommes, aussi bien dans la loi civile que religieuse ; elle ne sont pas assujetties à des ordres monacaux, comme les célestines ou les bénédictines. Si le mouvement s'éloigne des institutions, il en reste très spirituel, voire mystique ; quelques écrits remarquables en témoignent (principalement Hadewijch d’Anvers, Hildegarde de Bingen et Mechthilde de Magdebourg).

L’âge d’or du mouvement béguinal se situe entre les XIIIème et XIVème siècles : chaque ville dispose alors d'un ou plusieurs béguinages, dans les Flandres, depuis nord de l'actuelle France jusqu'aux Pays-Bas, mais aussi à Paris et dans la vallée du Rhin. Ces femmes vivent pauvrement mais travaillent et bénéficient parfois d'avantages économiques pour vendre leurs produits artisanaux sans taxe, ce qui suscite la colère des corporations. Ce sont souvent des veuves ou des femmes refusant l'homme qu'on veut leur faire épouser. Recluses dans les enclos où les hommes sont interdits de visite, elles n'en mènent pas moins une vie sociale en prêchant ou en proposant leurs services, comme le soin des blessés ou le service funéraire. Mais en raison des persécutions, aussi bien civiles que religieuses, mais aussi de la peste noire de 1348, le mouvement décline fortement au début du XVème siècle.

Le déclin est encore accru avec la diffusion du protestantisme puis, à la faveur de la contre-réforme, le mouvement béguinal renaît aux XVIIème-XVIIIème siècles, avant de décliner à nouveau. Ce deuxième âge béguinal fut différent du premier, beaucoup plus structuré et dans des couches sociales nettement plus aisées. Pour ces raisons, les « nouveaux » béguinages ne produiront plus de grandes mystiques comme au Moyen-Âge.

12 avril 2013

Le concile de Pise

Alexandre VEn 1409, cela faisait déjà 30 ans que le grand schisme d'occident n'était toujours pas résolu : un pape siégait à Rome, un autre à Avignon.

L'Eglise vivait une de ses plus graves crises. Malgré toutes les tentatives de médiation qui avaient été faites, elle ne parvenait à démettre aucun des deux pontifes. Certains cardinaux unionistes proposèrent alors d'organiser un concile pour mettre fin au schisme. Les ducs de Bourgogne, véritables maîtres de la France en raison de la maladie du roi Charles VI, firent pression sur l'Université de Paris puis sur les cardinaux français, pour mettre fin au schisme. Les cardinaux finirent par faire connaître par lettre leur volonté de convoquer un concile pour le printemps 1409. Ils durent déployer une grande énergie pour gagner à leur projet un maximum de participants. L'appel se fit jusqu'à l'empire byzantin. L'entreprise fut couronnée de succès puisque 500 représentants des deux obédiences se réunirent à de Pise, du 25 mars au 7 août 1409. Il y eut notamment vingt-quatre cardinaux qui participèrent à ce concile, dont quatorze cardinaux romains et dix venus d'Avignon.

A l'issue de leurs délibérations, ils décidèrent de déposer les deux papes et d'en élire un nouveau. Le 5 juin, la condamnation des deux pontifes rivaux fut prononcée et les cardinaux pisans élurent Alexandre V le 26 juin. Mais les cardinaux furent immédiatement excommuniés par les deux papes rivaux et la situation ne fit qu'empirer : il y eut alors trois papes (dont deux antipapes).

En 1410, Alexandre V meurt, mais les pisans élisent rapidement un successeur : Jean XXIII, sans pour autant résoudre la crise.

Pendant 5 ans, la chrétienté est partagée en trois obédiences :

  • celle de Jean XXIII qui comprend la France, l'Angleterre, la Pologne, la Hongrie, le Portugal, les royaumes du Nord, avec une partie de l'Allemagne et de l'Italie
  • celle de Benoît XIII, composée des royaumes de Castille, d'Aragon, de Navarre, d'Écosse, du duché de Bretagne, des îles de Corse et de Sardaigne, des comtés de Foix et d'Armagnac
  • celle de Grégoire XII, qui conserve en Italie plusieurs villes du royaume de Naples et toute la Romagne, ainsi que la Bavière et le palatinat du Rhin.

Il faudra attendre le concile de Constance, réuni à partir de 1414 pour que se règle définitivement le problème du Grand Schisme.

5 avril 2013

Jean sans Peur

Jean sans PeurJean sans Peur fut le second duc de Bourgogne. Il est né le 28 mai 1371 à Dijon et est mort (assassiné) le 10 septembre 1419 à Montereau-Fault-Yonne.

Petit fils de Jean II, il est le cousin du roi Charles VI, il était un prince français de la maison capétienne de Valois. C'est lors d'une croisade menée à l'appel du roi Sigismond de Hongrie, contre les Ottomans, que Jean gagna le surnom de "sans peur". Il commandait le contingent français, mais la bataille se termina en septembre 1396 par le désastre de Nicopolis, où les croisés furent vaincus par le sultan Bayezid Ier.

Il a poursuivi la consolidation de l'État bourguignon, politique entreprise par son père, Philippe II (dit le Hardi). Par un habile mariage avec Marguerite De Flandre, il va devenir maître d'un ensemble territorial considérable, avec des villes comme Lille, Bruxelles et Bruges, et donc s'enrichir énormément. Mais cette orientation vers le nord, va l'éloigner de Paris, et ses relations avec le pouvoir royal vont se dégrader au gré de l'assurance qu'il va acquérir dans son domaine.

Mais parce qu’il avait besoin des finances royales pour développer sa principauté et que ses intérêts se heurtaient à ceux du frère du roi, Louis d’Orléans, Jean sans Peur va faire assassiner ce rival en 1407. En commanditant le meurtre de son cousin, le duc de Bourgogne entraînera la France dans la guerre civile entre les factions bourguignonne et armagnac (laquelle cherche à venger Orléans), qui se disputaient alors la capitale et la régence. Ces troubles contribuèrent à relancer la Guerre de Cent ans.

En 1409, profitant d'une brève accalmie dans les tensions qui animaient la capitale, il va faire construire un somptueux hôtel particulier dans Paris. A ce jour, la tour, achevée en 1411, existe toujours et peut se visiter, rue Etienne Marcel.

Jean sans Peur sera assassiné à son tour en 1419 alors qu’il tentait une énième réconciliation avec les Armagnacs pour tenter de parer au péril anglais.

C'était un homme vif, à la fois mécène et bon vivant, dont on connaît plusieurs maîtresses, un grand nombre d'enfants illégitimes, et le goût prononcé pour les intrigues et manœuvres politiques. De toutes évidences, ce devait être une personnalité exceptionnelle.